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Question???Dés le début de mon activité, je me suis souvent demandée d'où provenait le crin végétal. Chaque fois que j'ai posé la question à mes professeurs, à mes maîtres de stages, et même aux tapissiers chez qui j'ai travaillé et appris mon métier, la réponse fut vague, voire inexistante. Après une enquête minutieuse, il apparait que les matières premières pour la réfection de sièges de style sont du crin végétal (feuille de palmier nain), de l'elancrin (fibre de noix de coco), du crin animal (crin de cheval). Pour ma part je ne vais m'intéresser qu'au crin végétal issu du palmier nain : Chamaerops humilis. Dans une première partie je vous fait part de ma petite enquête sur le crin végétal, puis dans une seconde partie je retranscrit l'histoire du crin végétal de monsieur Jean DARLEY. Suite à une visite sur cette page, monsieur Jean DARLEY, m'a proposé d'apporter son témoignage sur son activité au Maroc. C'est avec plaisir que je le retranscrit ici. Avec son autorisation je publie aussi les photos qu'il m'a confiées et qui sont de sa collection particulière. Elles ont été prises entre 1960 et 1965. Je le remercie pour sa contribution, qui confirme et précise les résultats de mon enquête. Chamaerops
humilis
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« Un jour,après un déjeuner en famille sur l’herbe, et à la faveur d’une sieste générale, un agriculteur eut, par curiosité, l’idée de voir comment était faite une feuille de doum, palme du palmier nain qu’il avait à portée de main. Avec une épingle à cheveux qu’il retira de sa femme endormie, il effilocha cette feuille et se rendit compte qu’elle était faite de longues fibres unies l’une à l’autre par de la chlorophylle. L’idée de la fibre végétale était née. » |
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La toute nouvelle industrie
automobile commençait à se développer, et le rembourrage des sièges de
voitures était à prévoir. François Péraldi, qui était membre de la
Chambre d’Agriculture, de Commerce et d’Industrie de Mazagan, flaira le
bon filon, et eut l’idée de l’exploiter. Cela donna naissance à
l’Industrie de Crin Végétal au Maroc. Il installa une première usine à
la sortie de Mazagan, sur la route de Marrakech, et une autre dans sa
ferme située à Aïn Talmest, pas très loin de l’Oum er Rbia, en
direction de Settat, à une cinquantaine de kilomètres de l’El Jadida
d’aujourd’hui tandis que son frère implanta la sienne à Sidi Smaïn,
près de Sidi Bennour. Le développement de cette activité pouvait
commencer.
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Il
faut savoir que jusque dans les années 1840, les fauteuils étaient
rembourrés à l'aide de crin animal, tiré de la crinière et de la queue
des chevaux, et les matelas avec de la laine, ce qui les rendait très
onéreux.Le ramassage« En premier lieu il a fallu former les personnes au ramassage et au conditionnement des palmes naturelles afin de faciliter le travail en machines. Il fallait faire des petits fagots d’environ 15 cm de diamètre, palmes toutes rangées dans le même sens. Ces fagots, joints deux par deux, étaient ensuite assemblés en ballots bien solides, réguliers, et d’un poids facilement transportable. 20 à 30 kg. Ces ballots étaient ensuite livrés chaque jour, à dos d’ânes ou de chameaux. Afin de permettre aux douars éloignés de l’usine d’avoir un certain revenu, une bascule était mise à leur disposition sous la responsabilité d’une personne résidente qui pesait et payait les achats de palmiers, acheminés ensuite à l’usine par camion. Ces ramassage et livraisons de palmier permettaient à environ 150/200 familles de percevoir un revenu non négligeable » L’effilochageLes ballots arrivés à destination étaient entreposés dans un hangar à l’entrée de l’usine, avant de subir les différentes manipulations qui allaient aboutir au crin, à la ficelle et à la corde. Mais pour cela, il fallait d’abord passer les palmes à la machine à effilochage : Cette machine était constituée d’une table de 50 cm de large, sur 6m de long et sur laquelle étaient fixées 5 grandes pinces pivotant sur un axe, permettant à 5 hommes de travailler. Cette table faisait partie intégrante sur toute sa longueur d’un coffre fermé dans lequel un arbre en acier, monté sur roulement à billes tournant à plus de 1000 tours/minute entraînait 5 tambours , hérissés d’alênes extrêmement pointues et affûtées. « C’était un véritable travail de spécialiste, qui nécessitait la plus grande vigilance, car à la moindre distraction, c’était l’accident grave. » Cette machine, avec ses 5 employés, produisait environ une tonne de fibre par jour. Après de très nombreuses années de recherches infructueuses par des ingénieurs qualifiés, cette effilocheuse plus que sommaire fut remplacée , après le Seconde Guerre mondiale, par une énorme machine dont le principe de fonctionnement était le même, mais la sécurité pour les employés renforcée. Le rendement journalier de cette machine passait de 1 à 6 tonnes. Derrière l’effilocheuse, se trouvait une machine moins volumineuse, la cardeuse qui était alimentée par les rejets de l’effilocheuse. La fonction de cette cardeuse était d’aérer les fibres et de finir de les nettoyer de ses éventuels déchets. Le filageLes femmes étendaient ensuite cette filasse sur une aire, la secouaient, pour l’aérer et la sécher avant de la rentrer dans l’atelier de filature. Car le produit obtenu était rêche et certains clients exigeaient un matériau souple avec une certaine élasticité. Par mesure de sécurité, cet atelier était séparé de la fabrication de la fibre afin d’éviter tout risque d’incendie, car la filasse était très sèche. C’était un hangar de 20m de large sur 60 m de long, avec des fileuses où des poulies s’enchevêtraient dans un savant jeu technique et d’où sortaient, après diverses manipulations, des cordes que l’on mettait en balles de 50 Kg pour être livrées à la Coopérative qui se chargeait de la commercialisation et de l’exportation. C’est ainsi que pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’armée française s’équipa de filets de camouflage tissés en crin. La dernière usine fut construite par les Péradldi à Matmata, entre Fès et Taza, en 1953. Six mois plus tard, elle fut détruite par un incendie. Ce fut certainement la dernière usine de crin végétal qui ait été construite au Maroc. Et maintenant ?Apparurent ensuite les fibres et les mousses synthétiques, fabriquées à partir des dérivés du pétrole. Le crin végétal périclita. Ainsi disparut une industrie qui participa grandement à la richesse du Royaume… Pourtant, un regain d’intérêt pour les produits naturels se fait de plus en plus sentir ; le crin végétal est aujourd’hui en vogue dans le monde entier, et particulièrement dans les pays européens. Au vu des nouveaux débouchés, on peut s’attendre à un développement de cette industrie textile. Peut-être y aurait-il une réflexion à mener pour savoir si la relance de la culture du palmier nain ne pourrait pas contribuer à augmenter les revenus du monde rural, et s’il n’y a pas lieu d’implanter dans la zone industrielle d’El Jadida, une usine de crin végétal d’où sortiraient des produits nouveaux, dans un monde moderne de plus en plus friand de produits naturels. |
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Pierre Averseng
né en 1810 à Caraman (haute garonne) était tapissier quand il vint pour
la première fois en Algérie en 1842. C'est à l'occasion d'une promenade qu'il découvrit les propriétés des feuilles du palmier nain. Il créa sa première usine à Toulouse, suite à l'incendie de celle-ci, il s'installa en Algérie. |
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Gaston
Averseng petit fils de Pierre reprit à 15 ans le flambeau de l'activité
familiale, du fait du décès de son père. Sous sa direction
l'entreprise va quintuplée sa production, et le crin Averseng va
s'imposer dans le monde entier. Elu maire d'El Affroun, il transforma l'infirmerie Saint Vincent de Paul en hôpital, créa une société d'HBM pour y loger plus de 120 familles. Il fera bâtir également une élégante mosquée au centre du village. |
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Village
d'El Affroun. |
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Le
palmier nain (chamaerops humilis) "Doum" des arabes, croit spontanément tout autour du bassin méditerranéen.Sorte de buisson ramifié, aux souches parfois centenaires en Afrique du nord, il se constitue en fourrés bas et impénétrables. |
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Présentation de monsieur Jean DARLEY |
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Je me présente : Jean DARLEY né au
Maroc à Meknès. En 1960 mon père m'en a confié la gestion. En 1966 j'ai repris l'affaire d'importation de mon principal client en France et je me suis installé à Marseille. En 1969 j'ai crée "France-Crin", groupement d'intérêt économique qui regroupait presque tous les importateurs français afin de contrôler 95 % du marché français soit environ 8.000 tonnes. France-crin a ainsi permis de préserver la consommation de crin végétal en France. Par exemple le groupe Epeda avec les marques de matelas Epeda et Merinos achetait chaque mois à France-crin environ 250 tonnes. A partir des années 1980 les tonnages importés par la France ont beaucoup baissés car les fabricants de matelas ont utilisés les feutres au détriment du crin végétal. J'ai arrêté mon activité en 1992. |
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J'adresse encore ici tous mes remerciements à monsieur Jean DARLEY
pour sa contribution. |
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